Pourquoi bloquer les jets privés ?

, par Attac France

Le 23 septembre 2022, des militants d’Attac et d’Extinction Rebellion bloquaient le terminal du Bourget, empêchant les ultra-riches de prendre leurs vols de confort pour le week-end. Pourquoi s’en prendre ainsi à l’aviation privée ?

Le moyen de transport le plus polluant du monde

Le secteur de l’aviation privée représente à lui-seul un drame climatique et les chiffres sont vertigineux. Quatre heures de vol d’un de ces appareils correspondent aux émissions carbone d’une personne durant toute une année en Europe. Les jets privés sont ainsi 5 à 14 fois plus polluants que l’aviation commerciale (10 fois plus intensifs en carbone en moyenne), et 50 fois plus que le train, et ce chiffre va s’accroître car la tendance s’oriente vers des appareils plus gros et polluants.

La crise climatique s’accentue de manière dramatique, et pourtant l’utilisation de jets se répand : aujourd’hui, la location de jets privés représente 17 % des vols européens, contre 7 % en 2019. Les émissions de CO2 des jets privés ont grimpé en flèche ces dernières années sur le continent, plus rapidement que celles de l’aviation commerciale, avec 31 % d’augmentation de 2005 à 2019.

Au niveau européen, la France figure aux premières places pour l’utilisation de ce moyen de transport ultra-polluant, avec un vol sur dix en jet privé en 2019. Cela représente une émission de près de 400 000 tonnes de CO2, autant que les émissions annuelles de 180 000 voitures !

Un mode de transport statutaire pour les ultra-riches, en pleine croissance

Alors que l’aviation privée apparaît ainsi comme une industrie particulièrement polluante, elle est en pleine croissance. Les principaux affréteurs du secteur se félicitent d’une forte augmentation de leurs activités. C’est le cas de VistaJet : entre 2020 et 2021, « le nombre de [ses] clients a connu une croissance de 50% sur un an ». L’entreprise a même réalisé « au troisième trimestre 2021, le plus grand succès de son histoire, avec 9 000 heures de vol de plus qu’à la même période en 2019 ». Un chiffre confirmé par des données plus globales du cabinet WingX, qui précise qu’au début du mois de novembre 2021, les records de 2019 étaient déjà battus, avec des entreprises du secteur, affréteurs comme constructeurs, qui peinent à répondre à la demande.

Les prix, à priori prohibitifs (comptez au minimum 5 000 euros l’heure de vol pour des court-courriers), ne semblent pas être un frein pour les plus riches. Toujours auprès de Capital, le vice-président de VistaJet précise des moyennes de facturation de son côté : « 25 000 euros de l’heure avec un minimum de cinq heures, soit 125 000 euros par vol ». Indécent.

L’aviation privée, parfaitement inaccessible à l’essentiel de la population, apparaît ainsi comme un mode de transport statutaire pour les très riches, qui manquent rarement de s’afficher dans ces engins sur les réseaux sociaux. Ils font ainsi sécession dans leur façon de se déplacer, en faisant fi de l’impact environnemental désastreux qui en résulte.

L’inaction coupable des autorités publiques

Pour la Ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, dénoncer l’usage des jets privés serait « à côté de la plaque ». L’usage de ce mode transport ultra-polluant est pourtant le symbole de l’injustice fiscale, sociale et climatique qui s’accroît entre la population et les privilégiés.

L’absence de volonté politique rend les pouvoirs publics complices de ces crimes climatiques. Il est insupportable de constater aujourd’hui que les modes de transport ultra-polluants sont encouragés par les pouvoirs publics, par l’absence de réglementation, voire par des exonérations fiscales comme celle dont bénéficie le kérosène.

Alors qu’elle est très en retard sur ses ambitions climatiques, l’Union européenne (UE) a présenté en juillet dernier son « plan pour le climat » qui comprend notamment un projet de taxation du kérosène aérien à partir de 2023 : malheureusement cette taxe, qui doit augmenter progressivement sur 10 ans, devrait épargner les jets privés. Une aberration ! De la même façon, les jets privés sont également exemptés du système d’échange de quotas d’émission de l’UE.

En France, lors de l’examen de la loi « climat et résilience » en 2021, la majorité a rejeté les propositions visant à amender le texte pour inclure les jets privés dans l’interdiction des vols à l’intérieur du territoire français pour lesquels une alternative en train d’une durée inférieure à 2 heures 30 existe. Une preuve supplémentaire que ce secteur échappe à la plupart des réglementations écologiques.

En France, le taux d’imposition pour les carburants de ces avions d’affaires est entre 35% et 40% inférieur à celui de l’essence pour les automobiles : un avantage fiscal pour les plus riches par rapport au reste de la population voyageant en voiture et en train. La Convention citoyenne pour le climat avait d’ailleurs proposé d’aligner ces taux, et a de la même façon, essuyé un veto gouvernemental.

Un gouvernement au service des ultra-riches

On ne peut pas retirer au gouvernement sa cohérence. De la même façon que cette fiscalité avantageuse privilégie les ultra-riches qui circulent dans ces avions polluants, le mandat Macron n’a pas manqué de faire preuve d’injustice dans ses mesures fiscales. La suppression de l’ISF dès le début du mandat et la mise en place de la flat tax ont largement contribué à enrichir ceux qui l’étaient déjà bien assez. Pire encore, le dernier rapport d’Oxfam révèle que la fortune des ultra-riches, sous l’effet des aides massives sans contreparties de l’État, a augmenté plus rapidement en 19 mois qu’au cours des dix dernières années.

Finalement, on peut déplorer que la seule action initiée par le gouvernement sur le sujet consiste à criminaliser l’action des activistes qui dénoncent ces crimes climatiques. En juillet 2021, l’Assemblée nationale a adopté en catimini un projet de loi gouvernemental qui sanctionne « le délit d’intrusion sur une piste d’aéroport » de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. Une sanction portée à un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende « lorsqu’elle est commise en réunion ».

Pour signer l’appel à désarmer les criminels climatiques, c’est ICI