Pourquoi nous prélevons à la source les multinationales qui pratiquent l’évasion fiscale ?

, par Attac France

Attac lance une grande campagne de désobéissance civile : puisque le gouvernement veut faire payer la crise aux précaires et refuse de faire payer à chacun sa juste part d’impôt, puisqu’il n’empêche pas les ultra-riches et les multinationales d’échapper à l’impôt en pratiquant l’évasion fiscale, nous avons symboliquement “prélevé à la source” des multinationales comme Amazon, McDonald’s, BNP-Paribas ou Total, dont les pratiques d’évasion fiscale sont notoires.

Les objets prélevés ont été remplacés par un avis de prélèvement explicitant les raisons de notre action, puis nous avons déposé le “butin” dans des centres de finances publiques, en lien avec les organisations syndicales de l’administration fiscale.

Alors que débute une séquence électorale dont les thématiques de campagne semblent dictées par l’extrême-droite, nous souhaitons avec ces actions remettre les questions de justice fiscale au centre du débat public.

L’injustice fiscale, ce fléau qui mine le consentement à l’impôt

Depuis plusieurs années, la demande de davantage de justice fiscale ne cesse de s’exprimer. On l’observe dans les enquêtes d’opinion, mais aussi au cœur des mouvements sociaux, marqués notamment par la mobilisation des Gilets jaunes.

L’injustice fiscale, illustrée notamment par les multiples scandales (affaire Cahuzac, Panama Papers, Paradise Papers, Lux Leaks, CumEx...), nuit gravement au consentement à l’impôt, pilier fondamental de toute démocratie, et contribue à la hausse des inégalités, à la dégradation des services publics et à la remise en cause des mécanismes de protection sociale.

Les mesures du quinquennat Macron ont constitué un accélérateur de l’injustice fiscale :

  • transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière,
  • mise en place du prélèvement forfaitaire unique, ou flat tax, qui instaure un taux proportionnel sur les revenus financiers,
  • baisse des impôts de production payés par les entreprises.

Cela a contribué à réduire l’imposition des très riches et des plus grandes entreprises et a encouragé au versement de dividendes records aux actionnaires.

Toutefois, cette tendance était à l’œuvre depuis le tournant néolibéral des années 1980 : la progressivité de l’impôt sur les revenus et le patrimoine a diminué, de même que l’imposition des profits des entreprises, si bien que la fiscalité repose de plus en plus sur des taxes à la consommation (comme la TVA), alors qu’elles sont injustes dans la mesure où elles représentent une part plus importante du revenu des ménages les plus modestes.

Malgré tout, le pouvoir martèle qu’il ne reviendra pas sur ses choix injustes qui ont favorisé les plus riches et qu’il n’augmentera pas leurs impôts, préférant poursuivre son agenda néolibéral : réforme des retraites et de l’assurance chômage, réduction de la place de l’action publique, austérité budgétaire sur fond de dramatisation de la question de la dette publique.

Si nous prenons le risque de « voler » des multinationales, c’est parce que nous ne supportons plus que ceux qui peuvent le plus contribuer à l’impôt y échappent en toute impunité, tandis que ce sont les plus précaires qui trinquent.

L’évasion fiscale des multinationales nous coûte un pognon de dingue

Dans cette campagne, nous voulons particulièrement dénoncer l’évasion fiscale des entreprises multinationales.
Ces entreprises utilisent les échanges entre leurs différentes filiales, qui sont implantées dans des pays où la taxation est faible, comme aux Pays-Bas, à Malte ou à Jersey. Un des moyens de pratiquer l’évasion fiscale consiste à manipuler les prix de transfert : il s’agit d’utiliser les échanges entre les différentes filiales de l’entreprise pour faire apparaître artificiellement leurs profits dans les territoires où les taux d’imposition sur les sociétés sont faibles (par exemple l’Irlande ou le Luxembourg) ou à localiser les charges là où ils sont plus élevés pour y réduire artificiellement le bénéfice.
Ces mécanismes permettent aux multinationales de réduire très fortement le montant de leurs impôts et de créer une concurrence déloyale avec les petites et moyennes entreprises, dont le taux d’imposition réel est nettement supérieur à celui des entreprises multinationales.

Selon une étude récente menée par des économistes [1], 40 % des bénéfices des multinationales sont transférés dans des paradis fiscaux chaque année, soit 900 milliards de dollars (soit 765 milliards d’euros) en 2018 à l’échelle mondiale ! Cela occasionne une perte de 200 milliards $ (170 milliards d’euros) des recettes de l’impôt sur les sociétés, soit 10% des recettes.

Pour la France, les profits non déclarés s’élèvent à 46,7 milliards $ (39,7 milliards €) en 2018, ce qui représente un manque à gagner de 15,4 milliards $ (13,1 milliards €) d’impôt sur les sociétés par an. Ainsi, 26% des recettes de l’impôt sur les sociétés sont perdues du fait de l’évasion fiscale !

Les multinationales que nous avons choisi de cibler dans cette campagne sont représentatives des pratiques d’évasion fiscale :

  • BNP-Paribas est la banque française la plus présente dans les paradis fiscaux (194 filiales) et a été épinglée dans de multiples scandales d’évasion fiscale (Lux Leaks, Panama Papers, CumEx, OpenLux...) ;
  • Total Energies échappe à l’impôt sur les sociétés en France grâce à ses 160 filiales dans les paradis fiscaux, notamment aux Bermudes et aux Pays-Bas ;
  • Mc Donald’s est organisée de façon à ce que les profits réalisés en France soient artificiellement déclarés au Luxembourg, ce qui lui permet en outre d’éviter d’avoir à verser des primes d’intéressement à ses salarié.es ;
  • Amazon a réussi l’exploit de payer 0 euro d’impôt sur les sociétés dans toute l’Union Européenne en 2020, malgré des ventes records, en délocalisant ses revenus au Luxembourg, et elle organise une fraude massive à la TVA.

Nos revendications pour mettre fin à l’évasion fiscale

Face à l’inertie ou la procrastination des États, nous demandons :

  • un véritable échange automatique d’information, sans exemption, réciproque et multilatéral ;
  • un véritable registre mondial des sociétés écran, afin de connaître leurs propriétaires effectifs ;
  • un cadastre financier européen, voire mondial, pour identifier les détenteurs des différents titres financiers ;
  • en finir avec les rulings, la multiplication des niches fiscales et la concurrence fiscale entre les États ;
  • empêcher la « planification fiscale agressive » et le shopping fiscal des multinationales ;
  • les contraindre à rendre compte de leurs activités pays par pays avec un reporting public ;
  • renforcer et étendre la protection les lanceurs d’alerte ;
  • un renforcement de la coopération entre administrations nationales (administration fiscale et douanière, services spécialisés de police judiciaire, anti-corruption et anti-blanchiment, justice) et entre États ;
  • obtenir le renforcement des effectifs et moyens des administrations impliquées dans la traque des délinquants financiers ;
  • obtenir la poursuite des responsables des banques et sociétés de conseils qui organisent l’évasion fiscale et en finir avec l’impunité fiscale (condamnations fiscales et pénales) ;
  • la mise en place de la taxation unitaire, plus efficace que la réforme de l’impôt mondial négocié au sein de l’OCDE.